Karma:   fest-noz à Langonnet   


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tCe soir fête à la sauce armoricaine

La vague celtique n'en finit pas d'emballer les foules: le festival interceltique de Lorient va bientôt réunir plus de 300 000 fans. Bercés depuis toujours par cette musique, six copains de lycée ont fondé le groupe Karma.
Ce qui les rend heureux, c'est de faire danser des générations de Bretons dans les fest-noz.
"Je ne sais pas si nous sommes doués pour le bonheur. Mais une chose est sûre, ce qui nous rend heureux sur scène, c'est de réussir à faire danser les gens", lance Mikaël. En ce samedi soir de printemps, il anime avec ses cinq autres copains de lycée du groupe Karma un fest-noz: "fête de la nuit", en breton.
"Bonsoir ! Eh bien nous allons commencer avec un Kas-a-barzh!", démarre Yann. Étienne au biniou et Mikaël à la bombarde, une sorte de clarinette au son criard, soufflent le rythme. La tête droite, des dizaines de jeunes en baskets, de mères de famille en goguette, de papys sans complexes joignent leurs coudes ou leurs petits doigts. Leurs pieds sautillent à l'unisson suivant des pas compliqués.
Et sous les néons du gymnase de Langonnet, petit village au coeur de la Bretagne, le rouge monte vite aux joues. Plus de 350 personnes ont fait le déplacement - parfois de loin pour venir guincher en famille au son des airs celtiques.
Voilà une heure que le groupe joue. Spontanés et détendus sur scène, les six copains se parlent, se chamaillent, se jettent des sourires complices. Sans aucun doute, ils parviennent à communiquer leur propre plaisir d'être ensemble. Les rondes de danseurs collés les uns aux autres s'enroulent en spirales, serpentent en virages serrés puis se délient et se retrouvent à nouveau. 200 personnes ainsi soudées... ça réchauffe !
Lorsque les six copains entament leur "Karmarena", parodie à la sauce armoricaine du fameux tube de l'été qui finissait par agacer leurs oreilles, dans le public, seuls les copains hilares suivent dans leur coin les déhanchements de Corentin et Mikaël. Les plus âgés, légèrement désorientés, hésitent à s'y risquer et finissent par reprendre des pas plus traditionnels... Le clou du concert est encore à venir.

Une alchimie entre le public et les musiciens

Tous les fidèles du groupe attendent la spécialité de Karma: le "cercle circassien". Le rituel est bien rodé: Erwan délaisse guitare et micro pour un djembé - une sorte de tambour africain et accompagne Corentin, Mikaël et Étienne assis en rond sur des chaises au milieu de la piste de danse. Main dans la main, les couples alignés entament d'abord des pas majestueux, dignes d'une soirée à la cour du roi. Puis le rythme du djembé s'accélère et les entraîne jusqu’au tournis. Succès garanti.
Au fil des soirées, les jeunes bretons - vainqueurs du Kan Ar Bobl, le plus important concours de musique bretonne- sentent de mieux en mieux comment faire plaisir à leur public. En tenant compte de la diversité des attentes. "Nous varions les types de danses afin de ne pas lasser une clientèle d'habitués. Nous essayons aussi d'alterner accélérations et rythmes lents pour permettre aux moins endurants de reprendre leur souffle", confie Yann.
Peu à peu se construit cette alchimie où se mêlent les plaisirs du public et le leur. C'est cette complicité qui les fait courir tous les week-ends, de Clermont-Ferrand à Pontivy et de Cachan à Lorient :"Nous, on veut que les gens prennent leur pied en même temps que nous", résume Corentin.

Cela n'a pas toujours été aussi facile. Comme lors de ce fest-noz organisé le soir de la fameuse finale de la coupe du monde de football. Yann en "footeux" prévoyant avait apporté sa télé dans les loges et il y eut bientôt plus de personnes devant le petit écran que sur la piste de danse désertée. Les petites "galères" des débuts sont devenues des bons souvenirs.
Comme ce soir où plutôt que de présenter des morceaux qui n'étaient pas encore parfaitement rodés, ils ont préféré répéter entre eux toute la nuit dans les sous-sols du bâtiment, au grand dam des organisateurs... Ou encore cette autre fois, où le bar qui les engageait n'avait pour toute "sono" qu'un simple micro de karaoké.

Sans oublier les galères

En deux ans, à force d'écumer les festivals et les gymnases de Bretagne, leur parcours a pris une tournure un peu plus sérieuse, notamment avec l’enregistrement d'un CD. Mais cela n'a pas bouleversé leur façon de faire et de vivre la fête. Ils se réjouissent de l'engouement pour la musique celtique qui a réuni en mars dernier à Bercy une salle entière sous la houlette de Dan Ar Braz ou Denez Prigent notamment. Accoudé au bar, Corentin encore rouge vif confie :
"On ne souhaite qu’une chose: faire encore beaucoup de concerts, beaucoup de fest-noz et surtout continuer à prendre beaucoup de plaisir".
Le bonheur, ils ne sauraient le décrire, mais ils sont bien décidés à le cultiver, " Nous nous sommes fixé comme principe de toujours renouveler notre répertoire et d'aborder chaque concert comme le premier." Un principe qui tient de la survie lorsque l'été, comme l'année dernière, ils réalisent pas moins de 25 soirées en deux mois. Alors de peur de tomber dans la routine, ils passent le reste de leurs vacances à fouiller dans les enregistrements poussiéreux de leurs grands-pères pour en exhumer les moins connus. Ces airs pourtant immuables, ils leur donnent des accents rock avec des accords de guitare et d'accordéon, les modernisent à coup de djembé, et se risquent à l'improvisation. "C'est quand on joue pour la première fois un nouveau morceau en public, raconte Mikaël, que l'on s'amuse le plus. Il y a ce petit stress qui nous fait nous demander si on va y arriver.... si les gens vont danser!"

Céline Mordant

Cet article est extrait du Journal Expérimental de Phosphore, N° 16, juin-août 98, consacré au thème du bonheur. La journaliste a accompagné le groupe Karma toute la soirée. Les musiiens ignoraient le thème de sa recherche.